Si l’on pouvait, par quelque impossible miracle, dépouiller la phénoménalité de tout ce qu’elle comporte justement de phénoménal, de tout ce qu’elle comporte de brisures, détours, constructions et élaborations, que verrions nous ? Que verrions-vous, si nous tournions ce regard miraculeux dépouillé de toute élaboration phénoménale par laquelle le monde se présente à nous ? Que verrions-nous, si par pure hypothèse, notre regard intérieur embrassait la chose en soi ?
Ce regard interne probablement verrait en dedans ce qu’il voit au dehors lorsque nous plongeons nos yeux vers les confins de l’univers. Notre fonctionnement mental ressemblerait au spectacle de la nuit étoilé : clignotements d’étoiles, vibrionnement de galaxies, danse corrélée d’étoiles doubles, etc.
Telle est la position de Poincaré, ou de Souriau, pour qui toute la physique est d’abord prolongement du corps : la physique est la projection externe du physique. La réification de ce savoir comme objet purement externe – telle est la position de la science contemporaine – recèle, implicites, de purs partis pris métaphysiques, largement occultes, aux redoutables conséquences pratiques et politiques. Ces partis pris inconscients sont pour leur part, et de part en part, tout pétris de croyance irrationnelle. Ils se nourrissent de l’immense inculture philosophique de prétendus scientifiques, qui pour leur large majorité, ne sont au mieux que des techniciens.
Poincaré fait exception. En affirmant que toute expérience ne peut s’analyser in fine qu’en prenant en compte les muscles, la main, le geste, l’œil, la structure cérébrale dans ses replis les plus lointains – et notamment la source quantique de la pensée et de la représentation – le physicien rejoint ainsi la thèse que Schopenhauer développe dans « Le monde comme volonté et comme représentation ». Il rejoint l’expérience intérieure que décrivent certains yogis, qui au plus profond de leur méditation contemplent intérieurement un paysage qu’ils décrivent si semblable au ciel étoilé.