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6 janvier 2013 7 06 /01 /janvier /2013 12:21

Le mot travail fait débat.

 Sommes-nous essentiellement des travailleurs ? Ne sommes-nous d'abord que des travailleurs ? Notre identité politique doit-elle principalement se référer au travail ? Si tel était le cas, en quoi briserions-nous d’avec la centralité de la valeur travail dans l’oppression capitaliste comme dans la tradition judéo-chrétienne ? Qu’est-ce qui distinguerait alors des sociaux démocrates et de leur pitoyable tentative d’adapter le capitalisme ?

 Le mot travail est un mot miné. Ses sens sont nombreux et il est préférable de les éclaircir pour ne pas tomber dans les pièges de la sémantique pernicieusement tendus par les classes qui définissent le sens, les concepts et les symboles. Les limites de notre langage fournissent les limites de notre monde, disait Wittgenstein.

 Marx lui-même emploie le mot travail dans deux sens différents :

-    travail, comme exploitation, comme temps aliéné, actvité subordonnée

-    et travail comme progrès de la condition humaine, comme progrès créatif.

 Travailler peut  vouloir dire : assurer sa subsistance. Mais est-ce que je travaille librement ? Est-ce que je choisis mes conditions de travail, l’environnement économique de mon travail ? Les conditions dans lesquelles je dois « gagner ma vie » sont celles qu’on m’impose. L’emploi est celui qu’on me donne, dans des conditions de rareté, de chômage, crées au nom de la compétition économique,  ni égalitaires, ni équitables et destructrices du tissu social et de la planète.

 Travail comme devoir vital et travail comme nécessité vitale sont deux conceptions bien distinctes.

Comme devoir assumé, le travail est liberté. Comme nécessité incontrôlable, il me domine.  Chômeur, érémiste, stagiaire, intérimaire, intermittent, précaire, salarié, je ne suis jamais débiteur de ma vie que par la spoliation que d’autres font de ma force de travail et ma créativité.

 Mon droit à vivre, à exister, à travailler, est absolu. Je n’ai pas à gagner ma vie. Je n’ai pas à la justifier. Vivre n’est pas une dette. C’est mon droit absolu. En conséquence, il est aussi de mon droit est absolu de réclamer, de saisir de vive force si nécessaire, les éléments fondamentaux de ma subsistance : nourriture, vêtement, santé, espace, sol, toît, chaleur, eau, air. 

 L’école, les média, la publicité, les technologies, les normes , les règlements,  les lois sont là pour me persuader du contraire. Que rien ne m’appartient. Que rien ne m’est dû. Que c’est un devoir de travailler plus gagner plus pour dépenser plus pour travailler plus, pour polluer plus, pour gâcher plus l’avenir collectif et global.

 Le travail n’a valeur positive que s’il permet l’autonomie économique, c’est à dire politique de la personne. S’il s’agit simplement de reproduction de la force de travail, voire son épuisement à terme (c’est aujourd’hui le cas avec les travailleurs pauvres) le travail n’est qu’aliénation.

Travail donc veut dire tout à la fois autonomie et aliénation. « L’esclavage c’est la liberté » disait Orwell (1984)

 Les aristocrates de l’ancien régime avaient en horreur le travail subordonné. Mais il leur importait de transmettre ou d’accroître l’héritage et le prestige de leur lignées, ce pour quoi ils ne ménageait pas leurs efforts ni leur travail. Rome distinguait l’otium, activité intellectuelle, artistique, politique, et les tâches pénibles ou répétitives de gestion et de production, confiée à des esclaves. Dans une entreprise, le travail gratifiant n’existe qu’aux étages supérieurs. Dans un sens on peut même dire qu’en haut on ne travaille pas. Mais entretenir la confusion à pour l’exploiteur des avantages nombreux.

 Rien ne peut justifier les occupations harassantes et débilitantes qui sont le lot de la plupart des salariés à la chaîne, caissières, horaires dissociées, pathologies musculo-squeletiques liés au travail, temps de trajet interminable, courses, ménage, paperasse qui sont encore un travail puisque mon emploi ne me sert qu’à acquérir l’argent pour payer – en dehors du temps rémunéré – ma subsistance personnelle quand il se confondait auparavant avec la tâche de vivre. Nous travaillons double et nous n’avons plus le temps de vivre, d’être humains. Avec ce genre de travail, nous ne sommes plus que des machines à produire au service des « ismes », leurs esclaves. Quel révolutionnaire défendrait ce genre de travail ? Qui accepterait, usant du mot travail, pérenniser l’ambiguïté qui n’est au fond que l’arme pernicieuse de notre aliénation ?

 De toute l’histoire de l’humanité, préhistoire comprise, nous n’avons jamais tant travaillé. Toutes les études anthropologiques le confirment. Jamais le temps aliéné n’a été si important. Jamais les conditions du travail n’ont été aussi déplorables. Je vous renvoie au texte de Pierre Clastres pour référence.

 Le travail ne se confond pas avec le salariat. Le salariat est structurellement une forme aliénée du travail car elle met en relation un employeur puissant détenteur de l’outil de production et un offreur de travail, qui ne peut entretenir sa vie et la reproduction de sa force de travail que grâce justement aux moyens de production accaparés par le capitaliste. Le salariat est la forme moderne  du servage, son déguisement « démocratique ». Toutes les formes de travail libre, où le producteur détient son outil de travail (artisanat, petit commerce, paysannerie) régressent depuis la première guerre mondiale. Le projet du capitalisme hyperlibéral est la salarisation mondiale. Nous ne pouvons défendre le salariat.

 

En nous définissant comme « travailleurs », ne sommes-nous pas les complices volontaires (« De la servitude volontaire » est un ouvrage célèbre d’Etienne de la Boëtie), nous défendons une catégorie qui est celles des maîtres. Nous sommes comme ces valets de palace contents du compliment d’un milliardaire satisfait des pompes qu’on lui a bien cirées. A moins que l’intention soit de maintenir la centralité du contrôle des moyens de production, le capital passant aux mains d’une oligarchie politique censée savoir ce qui est bon pour le peuple. Le socialisme soviétique comme chinois ont succombé à ce défaut.

 Il n’y a pour s’en préserver que le moyen de la destruction soigneuse, continue, toujours renouvelée, de toutes les centralités, économiques, politiques, symboliques. Le capital et la propriété privée, sauf dans la limite de l’usage personnel et intransmissible, doivent disparaître.

Rien ne doit pouvoir être décidé sans ma participation et mon accord. La société par action doit devenir l’exception, avant de disparaître, la coopérative autogérée la règle, dans tous les domaines, production, commerce, habitat. Le salariat doit devenir l’exception, l’association économique égalitaire et l’emploi direct  la règle. Les coopératives, communes, comités, collectifs citoyens, l’éducation populaire doivent devenir le fondement de la démocratie directe auto-gestionnaire et l’assise des institutions politiques représentatives. Il ne peut y avoir centralité du contrôle du travail sans totalitarisme, et les prétendus socialismes autoritaires l’ont démontré dans le sang du peuple.

 Marx donne au mot travail a sens presque rédempteur. Il l’associe au progrès, qui, rationnel, bénéficierait à l’homme. Mais comment définir la rationalité, la raison ? Le premier homme sur la lune fut un militaire. Nous avons « conquis » notre satellite mais nombre d’humains n’ont toujours pas accès à l’eau potable. Les soviétiques ont asséché la mer d’Aral pour cultiver le coton sensé apporter prospérité et puissance à la nation socialiste. En quoi conquête de l’espace et productivisme prométhéen sont-ils rationnels ?

 Or le travail est au cœur de cette relation de prédation : prédation de l’homme par l’homme – ce qu’a bien vu Marx – mais aussi de l’homme sur son environnement, qu’il n’a pas vu. Marx, en homme du XIXème siècle, accorde une valeur absolue à la rationalité. Absolu prométhéen annoncé par le christianisme qui fait de l’homme l’égal de dieu, omniscient, omnipotent, despote du monde. Ce despotisme monothéiste, le rationalisme scientiste le prolonge. Il est la religion du capitalisme. Capitalisme et crise environnementale sont deux aspects d’une même catastrophe. Nous ne pouvons revendiquer le travail, comme création-contrôle-domination.

 Travail : ce peut être encore le travail de la femme quand elle enfante. Naître c’est souffrir, vivre c’est souffrir. Alors beaucoup de choses deviennent acceptables. Dans ce sens là du mot travail, sa racine est tripalium*, instrument de torture employé par l’empire romain. Le travail comme culpabilité !

 Nous définir comme travailleur, c’est penser dans le cadre de notre aliénation. C’est le reproduire. Même notre imaginaire est colonisé. Dépouillons-nous du poison sémantique dont la culture, l’école, les média, l’entreprise l’étouffent. Si nous travaillons, c’est à notre propre liberté, à notre émancipation. Et les mots qui conviennent pour désigner cette prise d’autonomie, cet affranchissement, cette liberté, personnelle et collective, sont bien plus auto-détermination, loisir, paresse, oïtium, créativité, plaisir, plutôt que souffrance, aliénation, ennui, peine, chagrin, répétition, enfermement, prison, travail : ce sont là les catégories de notre servitude, celles de nos maîtres. Penser dans leurs ornières, accepter leurs mots, c’est acquiescer à leurs fouets, à leurs chaînes. 

 

* Sur l’étymologie du mot travail

 « Ce que l’historique du terme " travail " dévoile est l’association étroite de notre labeur quotidien, le travail au sens courant et moderne du terme, avec l’expérience de la contrainte et de la domination. Le tripalium est à l'origine du mot. C'est un instrument à trois pieux, un instrument de torture dit-on. En réalité, le tripalium correspond au travail utilisé dans les fermes : c'est un dispositif de contention utilisé pour aider à la délivrance des animaux, mais il est surtout utile au ferrage, au marquage au fer rouge, ou à des interventions vétérinaires douloureuses... j’imagine volontiers qu’il fut utilisé pour " contenir " les esclaves que l’on fouettait ou punissait.

"Le tripalium est bien, pour le Romain, et c’est attesté au début du moyen-age un instrument de supplice, dont dérive le terme " travail " désignant l’outil de contention familier aux éleveurs. Le dictionnaire nous rappelle pertinement l'historique et le croisement étymologique avec " trabicula ", petite travée, poutre, désignant un chevalet de torture : (trabiculare signifie " torturer " et " travailler ", au sens, de " faire souffrir "). Et c’est bien dans cette acception que s’utilise en ancien français le terme " travailler " et cela jusqu’au 12e et 13e siècle, et s’applique non seulement aux suppliciés, ou aux femmes en proies aux douleurs de l’enfantement, mais aussi aux agonisants. L’enfantement étant un " travail " non pas parce qu’on y re-produit la vie, mais en raison des douleurs de l’accouchement, au cours duquel sans doute, on devait - si elle était trop forte - immobiliser la mère... »

Du tripalium au chagrin, P. Deramaix

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