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30 août 2012 4 30 /08 /août /2012 22:12

Comment devient-on membre de la nomenklatura ? Henry Beyle, reçoit, quand il n’est pas encore Stendhal, une gifle publique dont il concevra une amère et durable rancune. Ce soufflet part de l’Ancien Régime pour s’écraser sur la joue d’un bourgeois en quête de droits. L’aristocrate qui calotte Beyle-Stendhal considère de son droit naturel de morigéner ce qui plus bas que lui prétend raisonner.

Autrefois, lorsqu’un groupe constatait l’impossibilité d’une réconciliation entre factions, le chef, ses partisans, leurs femmes, leurs enfants, partaient plus loin fonder un village, une cité nouvelle. Ainsi font les populations animales. Ainsi fait la Phocée de Lydie dont Gyptis fonde un double au bord du Lacydon. Mais quels espoirs, quand a disparu toute possibilité d’exil, intérieur ou extérieur, sinon la rébellion ? L’humiliation peut-elle décider du sort des nations ? Restaurer l’estime perdue quand l’outrage ne trouve plus nulle part de scène où se jouer ?

Un large rai de lumière brille de poussières en suspension. L’air sent le papier jauni. Dans la bibliothèque de Pékin, un jeune homme, blouse grise, aux épaisses bésicles d’écaille rondes, assis à une table de bois. Quelques livres entassés. Lao She, Guo Moruo, Lu Xun sait-on, les ont demandés. Ils les retirent sans un mot, même un merci, puis devisent entre eux sans un regard pour l’obscur clerc, comme si la pénétration de leurs vues l’avait rendu transparent. Mao est ce clerc. De leur mépris, il concevra sa vie durant envers les intellectuels une amère rancune.

Au nord de l’Ecosse, Lewis est une île de tourbe assez plate plus quelques mamelons de granite. La traversant à pied, de loin en loin on voit d’antiques tumuli mégalithiques, restes de royautés perdues. De ces landes infertiles s’exilaient voici un siècle les mangeurs de patates quand le tubercule noirci, gelé, ne laissait plus que le choix de partir ou mourir de faim. Stornoway est la modeste capitale de l’île. On y trouve un jardin public. Dans ce jardin se tient une étrange statue, couverte de graffitis. Le personnage en pied a la tête bizarrement décapitée d’un étrange sourire kabyle partant du menton, montant en biais vers l’occiput, ménageant attaché au cou la commissure des lèvres et le bas des oreilles. Sous les graffitis du socle de marbre on lit un dithyrambe à l’étrange supplicié disant à peu près: « Sir James Matheson, dont les incessants travaux, les entreprises pleines d’audace, ont assuré la prospérité de l’île ». A un jet de pierre de là, le musée local raconte une toute autre histoire, notamment celle où le seigneur Matheson en plein hiver, l’un de ces hivers écossais humide, froid et transi, envoie ses sbires arracher les couvertures des enfants, des vieillards malades, car on les lui doit en gage de la pitance qu’il a fourni pour la culture de ses terres. L’île entière était sa propriété, achetée grâce aux gains du trafic de l’opium à la Chine.

Mao n’eut pas d’aïeux. D’autres en ont trop. Les généalogies ne font ni audition ni lecture plaisantes. Elles ne sont pas là pour distraire, de là leur caractère austère. Ainsi celle des d’Estaing faite pour impressionner. La cathédrale de Rodez louange ce puissant genus. Une plaque-stèle y rend hommage à François d’Estaing dont « la munificence n’avait d’égale que la générosité ». François d’Estaing (1501-1529) descend de Guillaume Ier d'Estaing, compagnon de Richard cœur de Lion lors de la troisième croisade ; en 1214 Tristan Dieudonné d'Estaing sauve Philippe Auguste d’une mort certaine à Bouvines ; Pierre d'Estaing (†1377) fut évêque de Saint-Flour, archevêque de Bourges, cardinal ! Guillaume d'Estaing, Sénéchal et gouverneur du Rouergue, hérite son titre de Gaspart d'Estaing ; il descendait de Pierre d'Estaing (1437-1469) et fut Dom d'Aubrac ; Jean d'Estaing (1469-1495), également gouverneur du Comté de Rodez, lui succède. Il meurt en 1495. Providentiellement remplacé la même année par Antoine d'Estaing (1506-1523) ; l’évêché d'Angoulême récompense ses talents. Omettre Jean  III d'Estaing, comment ? Capitaine des guerres de Religion, il s’indigna qu’un Luther, un Calvin osassent contester la vénalité des indulgences. Joachim d'Estaing, évêque de Clermont, meurt en 1650 ; son frère, Louis d'Estaing reçoit la mitre de l’évêché de Clermont. François d'Estaing (†1732) fut gouverneur et lieutenant général des armées du Roy à Douai. Jean-Baptiste-Charles-Henri d'Estaing survécut de peu à Louis XVI. La lignée ne s’éteint pas là ? Non, pas de rupture dans la continuité. Le nom est racheté, sorte d’OPA, de goodwill d’ancien régime. Ainsi, bien que de seconde main, le nom d’Estaing subsista. La cathédrale de Rodez est assurément belle. Mais la bâtisse une fois posée, il faut l’entretenir. La restauration est un travail sans fin. Aujourd’hui le Conseil Général du Cantal, la région Centre, l’Europe prolonge le souci des belles pierres de François d’Estaing. A la porte de l’édifice, un panneau de contreplaqué peint détaille la quantité de millions consacrés à la réfection de l’ouvrage. A son ombre généreuse s’abritent deux gueux de vingt ans qui font la manche. Comment devient-on munificent ? Et gueux ?

Depuis le bastion de l’Est, je contemple à mes pieds Xi An, l’ancienne capitale. Au sud, le tumulus inviolé du Premier Empereur. Vers le couchant, une trace d’or poudroie comme celle levée par  les anciennes caravanes. Elles passaient sous mes pieds  chargés de céramique bleue, de soies précieuses ou de l’or des barbares. Pour peu on sentirait le suint des chameaux. Le bastion surplombe une cour carrée, toute dominée de défenses, sas stratégique au pavé que foulèrent autrefois l’armée de l’unification et l’Empereur lui-même !

Mais les dalles bosselées où son cheval avait posé sabot, griffant peut-être la pierre d’une trace incomparable, on les a remplacées. Pour la commodité des touristes et élargir la vue, les meurtrières sont devenues des baies. En Chine, pour être tout à fait vieux, l’antique doit être neuf. Les temples restaurés éclatent de couleurs fraîches, neuves et vives. On reconstruit périodiquement la pagode ou le temple shinto. Neuf pour qu’il reste ancien ; sinon, il n’est que délabré, usé, oublié, mort. A l’Ouest, quelle incongruité ! les restaurateurs imitent même l’usure, le ton fané des coloris âgés. En Chine, pas de pierre, pas de cathédrales, pas de châteaux, rien de pérenne : du bois, du bois seulement, de sorte que m’envahit la nostalgie du clocher, du dur, du stable, comme s’il manquait le squelette du temps.

Mao Zedong voulait faire de la Chine « une page blanche », écrire sur ce champ vierge une histoire radicalement nouvelle. « Que cent fleurs s'épanouissent, que cent écoles rivalisent! ». Après cet appel, la page vierge chinoise, bientôt Mao l’ensanglantera. Mais il réussira à en débloquer les rouages. A l’orée du XXème siècle, la Chine impériale, à bout de souffle, croule sous ses propres archaïsmes : la bureaucratie impériale la tire dans la tombe. Dévoyé de longtemps le système des examens, sensé n’accorder qu’aux meilleurs l’accès aux charges publiques ! Les mandarins s’accaparent le prix des grands travaux payés par l’empire. Ils n’accordent aux coolies que le nécessaire pour travailler encore, dépérir moins vite. Le hobereau pressure d’usure le métayer. Si bien que lorsque l’étranger qui s’approche fait tonner la canonnière, la Chine vermoulue vacille. Après des décennies de lutte, les communistes la sauvent. Sans gants, avec brutalité, par idéalisme et soif de pouvoir, Mao casse les vieux cadres. Il redonne jeunesse et vitalité au vieux bois. Il renouvelle en profondeur les élites. Un contempteur aussi implacable de Mao que Simon Leys s’interroge : l’histoire longue fera-t-elle du fondateur de la République de Chine l’égal du Premier Empereur ? Ne tourne-t-il pas comme lui une page surannée pour en offrir une vierge à tracer ? Mao mort, Deng revient. Il libère le grand corps corseté par l’écrasante planification, empêtré du poids des erreurs, paralysé des crimes mi-avoués. Le sang afflue aux membres. L’optimisme, la confiance en l’avenir gagnent. La hâte qu’on met à s’enrichir, la jeunesse des fortunes, l’enthousiasme contagieux : la pression relâchée, la société chinoise s’éploie avec une avidité fraîche et neuve. Les verrous ont sauté ; l’unité de travail, souverain despotique, se disloque. On habite où on veut. On fréquente qui on veut. On travaille où on veut. Les paysans s’embauchent sur les chantiers lointains de fastueuses métropoles. La nation brasse son peuple. Les jeunes femmes quittent le claustra jaloux de la pudeur villageoise pour les chaînes d’assemblage. Le droit pas encore ossifié laisse aux ambitions libre jeu. La Chine, de nouveau, est une lande vierge ouverte à tous les appétits. Les nouveaux riches, les cadres du parti ne sont plus les héritiers de l’ancien régime. Pas tout à fait encore. Car les révolutions vieillissent. Elles sont simplement plus ou moins vieilles. Trop de temps a passé. Le châtelain est devenu maire : les fils des paysans de ses aïeux sont ouvriers agricoles sur ses domaines. A la société de chasse, il procure la plus grande part des terres.

Lao She, Guo Moruo, ou Lu Xun : écrivains progressistes annonçant dès la fin du XIXème siècle le renouvellement des cadres sociaux chinois.

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